micRomania, le trimestriel et les éditions éponymes

La genèse

L’aspect transfrontalier des langues régionales romanes de la Fédération Wallonie-Bruxelles a permis de nouer de nombreux contacts avec ceux qui militent pour les mêmes causes, en France notamment, avec l’association Défense et Promotion des Langues d’Oïl. Ce fut l’occasion de faire paraître dans le mensuel de l’Association littéraire wallonne de Charleroi, èl bourdon, des traductions en wallon de textes en poitevin-saintongeais, en normand, en gallo, en champenois, en bourguignon morvandiau… D’autre part, les accords culturels bilatéraux entre la Communauté française – le nom d’alors de l’actuelle Fédération Wallonie-Bruxelles – et le Canton et République du Jura, qui impliquent aussi « les langues régionales », ont permis de prendre des contacts avec les « patoisants jurassiens ».

Cette première expérience a fait naître l’idée d’éditer une revue consacrée à la publication de textes littéraires contemporains en langues régionales romanes. Quatre « sages » encouragèrent le projet: Willy Bal (1916 – 2013), professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, Émile Lempereur (1909 – 2009), président d’honneur de l’Association littéraire wallonne de Charleroi, Albert Henry (1910 – 2002), professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles et Albert Maquet (1922 – 2009), professeur émérite de l’Université de Liège et de l’Université de Turin; tous les quatre, auteurs et philologues de grand talent, s’intéressant depuis toujours aux autres littératures dites « dialectales » et plus particulièrement à celles de la Romania.

Maurice Piron (1914 – 1986), professeur émérite de l’Université de Liège disait d’ailleurs dès 1954:

« Il n’y a aucun profit à maintenir dans l’isolement rigoureux de leur cadre dialectal d’origine, des faits qui, psychologiquement et socialement, appartiennent à des séries identiques. Leur confrontation, leur regroupement parfois, dégage des correspondances imprévues, des analogies frappantes qui font apercevoir le phénomène de la littérature en langues régionales sous un éclairage nouveau et plus juste. »

C’est sur ces bases que la revue micRomania allait donc voir le jour. L’appellation quelque peu accrocheuse est constituée d’un mot-valise basé sur le grec micro et le latin Romania, mot-valise qui évoque bien sûr les « petites langues latines ».

On pourrait reprocher son aspect réducteur à cette publication puisqu’elle ne concerne que les langues de la Romania. Une revue qui voudrait embrasser toutes les familles de langues de moindre expansion est matériellement impensable et il n’existe guère de spécialistes capables de gérer une telle diversité. D’autre part, afin de faciliter l’intercompréhension, donc l’intérêt d’un public relativement vaste, il convient de demeurer dans un espace linguistique dont les caractéristiques répondent à des critères précis; le premier, en cette occurrence, est l’héritage latin.

Toujours dans le souci de faciliter la communication, on envisagea de publier les textes avec une traduction dans la langue de grande expansion parlée concurremment dans la région d’où provient l’auteur. Par exemple, un texte wallon sera accompagné de sa version en français, un texte piémontais de sa version en italien, un texte galicien de sa version en castillan…

Pour bénéficier d’une infrastructure existante, l’aide de l’asbl Traditions populaires Wallonie-Bruxelles, fut sollicitée. Cette asbl, qui rassemblait bon nombre de membres du Conseil supérieur de l’Ethnologie de la Communauté française, éditait les publications de la collection Tradition wallonne. Elle bénéficiait pour ce faire d’une convention avec la Communauté française qui lui assurait un subside régulier.

Les dirigeants de l’asbl marquèrent leur accord pour envisager des éditions consacrées aux langues régionales; le nom de cette association devint Traditions et Parlers populaires Wallonie-Bruxelles et obtint de la Communauté française que la convention soit étendue aux publications concernant ces langues.

Les premiers numéros

En mars 1992, paraissait le numéro zéro – tiré à 250 exemplaires – comprenant quinze textes: 3 textes wallons, 1 texte picard de Wallonie, 1 texte normand, 1 texte gallo, 1 texte jurassien, 2 textes occitans, 1 texte monégasque, 1 texte romanche, 1 texte ligure, 1 texte corse et 1 texte asturien.

Les langues d’oïl y étaient majoritaires (7 auteurs) tandis que les autres textes sont parvenus aux éditeurs suite à des contacts pris lors de colloques d’ethnologie ou de linguistique; c’est le cas pour le corse, l’occitan, le romanche, le jurassien, le piémontais, le ligure et le monégasque.

Dès sa conception, les éditeurs constatèrent qu’il fallait « ouvrir » micRomania à un nombre plus important d’idiomes et l’aide du Bureau européen pour les Langues moins répandues fut particulièrement précieuse, Bureau qui disposait bien sûr d’une solide base de données en la matière.

Ce fut aussi par l’intermédiaire dudit Bureau qu’une demande de subsides fut introduite auprès de l’Union européenne; cette aide permit à la revue de décoller.

Le numéro zéro fut donc expédié à une série de personnalités et d’organisations militant pour les langues romanes de faible expansion. La constitution d’un embryon de fichier fut rendue possible grâce au Mercator guide to Organization providing information on lesser used languages édité en 1990 par la Fryske Akademy de Leeuwarden.

L’accueil fut généralement excellent, les encouragements nombreux mais l’aide attendue ne fut pas toujours ce qu’elle aurait dû être.

En fait, les promoteurs du projet souhaitaient recevoir régulièrement des textes permettant de nourrir la publication. Certaines associations – ne parlons pas de celles qui n’ont pas répondu – ont envoyé des courriers de sympathie mais pas de matière à publier; d’autres transmirent des textes sans traduction ou sans notice biobibliographique. Tout ceci nécessita la mise sur pied d’un système de communication qui est parfois fort lourd même à l’ère des messageries électroniques. Ne parlons pas des réponses qui parviennent avec un retard qui peut aller jusqu’à l’année; ce sont les aléas du système.

Le numéro 1 put être mis en chantier avec une aide complémentaire, celle de l’Union latine qui, moyennant un subside, souhaita que son sigle figurât sur une série d’exemplaires qu’elle se chargerait d’expédier dans son propre réseau. Ce numéro 1 – tiré en cinq cents exemplaires – publiait vingt textes et par rapport au numéro zéro, des « langues nouvelles » faisaient leur apparition (aragonais, francoprovençal, frioulan).

Le fichier fut étoffé par les renseignements fournis par les « retours » du numéro zéro et on y intégra les adresses d’une série de bibliothèques et de séminaires universitaires de philologie romane en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Suisse et dans les pays scandinaves.

Plusieurs lecteurs firent remarquer que la revue avait un aspect par trop anthologique; ils suggéraient qu’on y fasse figurer des informations sur les langues régionales. Cette remarque fut prise en compte pour la conception du numéro 2 et un article trilingue (espagnol, français, italien) fut placé en tête de cette livraison; il concernait la Charte européenne pour les langues moins répandues. La tradition de l’ « article de tête » était donc lancée et elle s’est perpétuée depuis. En fin de brochure, figurait une petite rubrique, Nova, consacrée aux parutions nouvelles.

Le numéro trois clôtura la première année de parution; il était semblable dans sa composition au numéro 2. L’ouverture vers le créole se manifesta par la parution d’un texte en créole martiniquais. Il faut remarquer qu’il fut malaisé de nouer des contacts avec les milieux littéraires créoles. Il semble bien que certains « créolisants » pensent que leur production ne correspond pas à la notion de « langues régionales ». Heureusement, pour ce qui concerne les créoles des Antilles, la revue peut compter depuis quelques années sur la précieuse collaboration de Térèz Léotin.

L’envoi du numéro 3 à l’Université de Bucarest permit de nouer des liens avec les Aroumains. On sait que les locuteurs de cette langue romane vivent surtout en Grèce mais que le statut de leur langue dans ce pays ne leur permet pas de se manifester aisément. Avant la seconde guerre mondiale, bon nombre d’Aroumains quittèrent la Grèce pour la Roumanie qui, pour des raisons politiques, tentait d’attirer tous les Roumanophones d’où qu’ils soient. Ce sont des descendants de ces émigrés qui se manifestèrent et qui transmirent des textes littéraires en aroumain.

Une rencontre avec Haïm Vidal Sepiha, professeur de judéo-espagnol à la Sorbonne et à l’Université libre de Bruxelles suffit pour que ce dernier propose des articles sur cette langue si particulière et sur les thèmes littéraires les plus fréquents chez les auteurs judéo-espagnols. Par la suite, des auteurs qui usent du judéo-espagnol s’intéressèrent à la publication et ont envoyé et continuent d’envoyer régulièrement des textes, des auteurs habitant en Belgique, en France, au Brésil, en Grande-Bretagne, en Turquie ou en Israël.

Chaque langue régionale est un cas d’espèce

Il est certain que les différentes langues régionales romanes connaissent des situations très différentes: depuis le parler en voie d’extinction – dont les derniers locuteurs, souvent fort âgés, sont atteints de sinistrose – jusqu’à la langue en pleine reconquête de ses positions perdues. Ceci ne signifie pourtant pas que la vigueur des organisations de militants linguistiques dépende de l’état de l’idiome que ces derniers défendent. Les welches, les ladins, les morvandiaus, les judéo-espagnols sont là pour témoigner de leur volonté de « tenir le coup ». Il arrive même qu’un auteur seul, sans appui associatif, sans support éditorial, tente de toute force de continuer à écrire une langue quasiment éteinte; c’est le cas de Francis Brodard qui use du francoprovençal de la Gruyère, de Pierleone Massajoli (1928 – 2011) pour le brigasc (parler de la vallée de Brigue dans les Alpes italiennes), de Bruno Rombi pour le tabarcchino (une variété de ligure parlée en Sardaigne par des descendants de Génois chassés de Tunisie où ils avaient émigré) ou encore de Benedetto Di Pietro qui écrit en gallo-italique de San Fratello (Sicile).

Dans certains cas, l’évolution peut être tout à fait favorable. Les écrivains qui pratiquent le normand des îles de la Manche semblaient résignés, il y a quelques années, et ne souhaitaient pas collaborer à micRomania; depuis quelques temps, de jeunes locuteurs dynamiques ont repris le flambeau et la collaboration a pu heureusement reprendre.

Interviennent aussi des habitudes anciennes. Les Romanches des Grisons sont isolés depuis des siècles et, au départ, les contacts avec eux ne furent guère aisés; néanmoins, le temps jouant son rôle, peu à peu un rapport de confiance s’est établi et la collaboration est devenue plus solide.

Jouent aussi des éléments politico-linguistiques très spécifiques. À titre d’exemple, les défenseurs du galicien se regroupent en deux écoles qui s’observent en chiens de faïence: il y a ceux qui veulent nettement différencier le galicien de sa langue-sœur, le portugais et ceux qui, au contraire, souhaitent un rapprochement qui se marque notamment au niveau orthographique. Ceci ne facilite pas la tâche d’un éditeur « neutre et étranger ».

Les facteurs historiques qui jouent sur le dynamisme des militants peuvent être récents. La séparation de la Yougoslavie en plusieurs états indépendants a permis aux locuteurs des langues romanes de l’Istrie (l’istrioto, proche du veneto et l’istroroumain) de se manifester; la Croatie se voulant un état plus ouvert aux revendications culturelles particulières a souhaité, en cette occurrence, témoigner de son sens de la démocratie vis-à-vis des minorités.

Plus récemment, des auteurs qui avaient déjà publié une abondante œuvre en langue française, intéressés par la démarche éditoriale du CROMBEL, se sont mis à se servir d’une langue régionale comme vecteur littéraire; c’est le cas de Joseph Bodson qui écrit maintenant en langue wallonne et de Rose-Marie François qui, elle, use du picard.

Les situations sociolinguistiques sont donc très variables. À ceci, il faut ajouter des facteurs individuels – ne pensons qu’à l’âge ou la formation – qu’il serait impossible de décrire tant ils sont divers et nombreux.

Les textes, quant à eux, peuvent provenir d’associations, de personnes-relais; ces personnes étant souvent à la fois des militants et des auteurs. Il arrive aussi que des écrivains isolés envoient leurs propres textes ayant appris l’existence de la revue par des bibliothécaires ou des chercheurs. C’est le cas d’un auteur napolitain qui réside en Sicile, Rafaelle Pisani, dont l’enthousiaste collaboration ne faillit jamais.

Ajoutons enfin que les envois de textes peuvent être très réguliers ou très épisodiques; ceci ne facilitant pas toujours la programmation éditoriale.

Les monographies

Il est parfois difficile dans une revue de faire paraître des textes d’une certaine longueur, a fortiori lorsqu’ils sont accompagnés d’une traduction et d’illustrations.

Le premier volume, dal creus dël temp / da fond des timps rassemblait des textes en wallon d’Albert Maquet et des textes piémontais de Tavo Burat (Gustavo Buratti 1932 – 2009); chaque texte en langue originale est accompagné d’une traduction en français et en italien et, selon l’auteur, d’une traduction en wallon ou en piémontais.

Des associations littéraires commencèrent à s’adresser à micRomania pour publier des actes de colloques. Ce fut le cas avec l’Association des Écrivains belges de Langue française qui avait organisé un carrefour sur les littératures régionales de la Communauté française dont les actes firent l’objet du volume Poésie de Wallonie en langue picarde, wallonne et lorraine.

Ce sont parfois des auteurs « isolés » qui sont édités par micRomania. Roger Foulon (1923 – 2008), par exemple, un écrivain bien connu des milieux littéraires francophones de Belgique, a aussi écrit en langue régionale et sa première œuvre du genre, Bat’lîs èt batias du tamps qu’èst oute constitua un volume qui a connu un grand succès. Il utilise le wallon très « picardisé » de Thuin, une ville qui n’abrite aucune association littéraire wallonne à laquelle l’auteur aurait pu s’adresser.

Il s’agissait là d’une des premières publications « illustrées », dans ce cas, des photographies originales de Joseph Châtelain. La présence d’illustrations dans les ouvrages est fonction de la sensibilité des auteurs; néanmoins, en matière iconographique, le recours à des plasticiens contemporains a toujours été privilégié et il faut reconnaître que ceux qui furent sollicités ont marqué un grand intérêt pour les textes qu’ils avaient accepté d’illustrer et cela, presque toujours bénévolement.  

Les éditeurs de micRomania furent aussi sollicités pour l’édition de travaux de linguistique relatifs aux idiomes régionaux. On inaugura la série Lingva en publiant Le lexique du Picard d’Irchonwelz de Louis Vindal et ensuite les actes du colloque Langues d’Oïl transfrontalières organisé par Défense et Promotion des Langues d’Oïl et Traditions et Parlers populaires Wallonie-Bruxelles.

Certains volumes rassemblent des articles – philologiques ou littéraires – consacrés aux langues régionales, des articles qui parurent initialement dans diverses revues et qui étaient devenus malaisés à trouver. C’est le cas de Pierre Ruelle et le Borinage – Études sur le borain, les Borains et le Borinage dû à André Capron (1926 – 2018); de Gallus: lettres wallonnes et culture, un ensemble de textes de Maurice Piron rassemblés par Albert Maquet et Jean-Marie Klinkenberg ou encore de Botêye walone – Hottée wallonne qui réunit des articles qu’Albert Maquet a consacré durant toute sa carrière aux littératures en langues régionales.

On signalera aussi la grosse anthologie due à Kira Iorgoveanu-Mantsu, Noi, poetsi ji a populiloru njits – Nous les poètes des petits peuples, qui propose des poèmes en aroumain accompagnés d’une traduction française.

Les traductions d’une langue régionale vers une autre langue régionale sont peu courantes et c’est pourtant dans cette voie difficile que s’est aventuré micRomania. Il est évident que rares sont ceux qui maîtrisent deux langues régionales et qui peuvent se permettre de réaliser des traductions « directes » de l’une à l’autre sans passer par le truchement d’une langue tierce – une langue de grande expansion – pour ce faire.

Ce fut le cas notamment pour Erbario – Cayèrs as-yèbes, des poèmes en veneto d’Alfio Centin accompagnés de traductions en wallon, en italien ou en français; Screiver per rumantsch, une anthologie de poèmes en romanche des Grisons; chacun de ses poèmes doublé d’une version française et d’une version wallonne ou encore Fôvètes – Fabletouno, des haïkus en wallon de Jean-Luc Fauconnier accompagnés d’une traduction en provençal assurée par Pierrette Bérengier et Yves Gourgaud avec des illustrations de Jacques Raes.

Plus récemment, grâce aux recherches de Françoise Bal et Jean Germain, la collection micRomania pu éditer deux traductions wallonnes inédites de Willy Bal, l’une de la Farce de Maître PathelinÈl fârce dè Mwésse Pathelin – et l’autre, Sganarelle ou le Cocu imaginaireBatisse, èl cin qui s’ creut côrnârd – de Molière.

Le picard hennuyer ne manque pas d’être représenté par le truchement de recueils de Rose-Marie François ou de Jean-Marie Kajdanski, par un recueil d’articles de Pierre Ruelle (1911 – 1993) relatif au borain, une variété très spécifique de ce picard et par les travaux de lexicographie d’André Capron et de Georges Larcin évoqués ci-dessous.

Quant à la littérature wallonne, elle figure dans ce catalogue par le truchement de recueils poétiques ou de textes en prose dus à David André, Joseph Bodson, Jean-Luc Fauconnier, Émile Gilliard, Albert Maquet.

Fidèle à une volonté d’ouverture indispensable vers les autres langues romanes, le CROMBEL a récemment édité Dànssen lous àrbes, un recueil d’une jeune poétesse occitane, Paulina Kamakine.

Il faut convenir que les volumes de cette collection sont tirés à un très petit nombre d’exemplaires étant donné l’étroitesse du lectorat potentiel. Pourtant, on doit signaler qu’un des ouvrages, l’Essai d’illustration du parler borain d’André Capron et de Pierre Nisolle, un gros volume qui concerne une toute petite aire linguistique – le Borinage, où l’identité locale est patente – a été rapidement épuisé. Le phénomène s’est reproduit avec l’ouvrage de Georges Larcin et Yvon Draux, Ël saveûr du borègn… La saveur du borain… ouvrage pour lequel il fallut procéder à une réédition. Il en fut de même pour le volumineux Dictionnaire français – picard borain. Le trésor dialectal du Borinage de Georges Larcin.

Il n’y a donc aucune « recette » en la matière et bien, sûr, des prévisions éditoriales un tant soit peu précises sont impossibles à élaborer. On ajoutera que la diffusion de ce type de produit est malaisée et il s’agit là d’une problématique qui reste à résoudre dans des conditions financières raisonnables.

Il faut préciser qu’actuellement, micRomania, pour des raisons à la fois techniques et financières, ne peut éditer que deux monographies par exercice budgétaire. De ce fait, des projets, aussi divers qu’intéressants, sont inscrits sur une liste d’attente.

L’équipe de micRomania a toujours refusé de « classer » les langues, considérant que les locuteurs et les littérateurs ont le droit de se servir du vecteur qu’ils ont choisi et cela dans la plus entière liberté. En outre, micRomania respecte l’orthographe des auteurs et se refuse à porter des jugements esthétiques. Ceci ne veut pas dire qu’on y publie « n’importe quoi », il y a bien sûr un seuil à ne pas franchir et, c’est notamment le cas pour les ethnotextes à l’aspect littéraire trop restreint; mais, la revue se veut un reflet de la production contemporaine, qu’elle soit passéiste ou « moderne », qu’elle soit rédigée dans une langue standardisée ou dans un idiome très local.

Malheurs et heurs

Les aides émanant de l’Union européenne se sont réduites à néant au cours de l’année 1995. Elles permettaient de rémunérer les traducteurs des « articles de tête ». Cette réduction repose sur une perception des langues régionales de la part des fonctionnaires européens qui peut être discutable; les aides qu’ils proposent vont en priorité à des organisations de défense de langues standardisées ou en voie de l’être, pour des projets ponctuels visant surtout l’enseignement et la diffusion; ils portent rarement sur le long terme. Il y a là une différence de perception entre ces fonctionnaires et les éditeurs de micRomania qui a engendré la perte de ces subsides, perte qui a nécessité l’abandon regrettable des versions italiennes et espagnoles des articles de tête.

D’autre part, l’Union latine a également mis fin à son aide, cette instanceayant changé sa politique et orientant son action vers la défense des langues romanes de grande expansion.

Autre péripétie: en 1996, l’asbl Traditions et Parlers populaires Wallonie-Bruxelles a connu, elle aussi des difficultés financières. Il a donc été décidé qu’elle se cantonnerait aux éditions en matière d’ethnographie – depuis lors, cette asbl a connu un processus de liquidation – tandis que la revue micRomania et la collection éponyme seraient dorénavant éditées, sous la tutelle scientifique du Conseil des Langues régionales endogènes de la Communauté française de Belgique, par le Comité roman du Comité belge du Bureau européen pour les Langues moins répandues (CROMBEL) qui a acquis pour la circonstance le statut d’asbl,

Depuis deux ans, la Fédération Wallonie-Bruxelles a entrepris de modifier sa structure d’instances consultatives; le Conseil des Langues régionales endogènes a malheureusement disparu et ses compétences ont été diluées dans plusieurs nouvelles instances consultatives. Ceci n’a certes pas simplifié les processus décisionnels.

On se doit de rappeler qu’en 2005, l’aisbl Bureau européen pour les Langues moins répandues fut contrainte d’entamer une procédure de liquidation. Le CROMBEL put bénéficier d’une aide de la Communauté française pour reprendre le fonds éditorial et les ouvrages du centre de documentation bruxellois de cette aisbl. Les ouvrages furent transférés à Charleroi, dans les locaux de l’asbl Èl Môjo dès Walons, locaux mis à la disposition de cette dernière par la province de Hainaut, dans les locaux de l’Université du Travail Paul Pastur de Charleroi. Ces ouvrages, dont le classement est en cours, sont mis, dès à présent, à la disposition du public.

Des coéditions

Il y a quelques années, une maison d’édition allemande dirigée par le Docteur Walter Sauer, qui s’occupe de publications en langues régionales, Tintenfass Verlag, a proposé au CROMBEL de coéditer des versions en wallon et en picard de Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1908); cette maison disposant de droits de traduction accordés par les éditions Gallimard. Ceci a permis de publier des traductions de cette œuvre dans cinq des langues régionales romanes de Wallonie ainsi qu’une en thiois brabançon bruxellois, le Brussels Vloms; le succès de la plupart d’entre-elles nécessita des rééditions.

D’autres coéditions ont abouti à des versions wallonnes et picardes de Max und Moritz de Wilhelm Busch (1832 – 1908), de Struwwelpeter d’Heinrich Hoffman (1809 – 1894) et de The Night before Christmas, un récit attribué à Clement Clarke Moore (1779 – 1863).

Parurent ensuite une version en langue picarde et une version en langue wallonne du conte de l’auteur flamand Felix Timmermans (1886 – 1947), De Nood van Sinter-Klaas. Récemment, ce furent quatre versions de The Tale of Peter Rabbit de Beatrix Potter – picard tournaisien, wallon oriental, wallon central et wallon occidental – qui virent le jour.

Tintenfass Verlag a obtenu de la maison d’édition anglaise Usborne les droits de publier l’ouvrage de Heather Amery, The First Thousand Words, illustré par Stephen Cartwright. Pour ce qui concerne la Wallonie et Bruxelles, 9 versions de cet ouvrage ont paru en coédition avec le CROMBEL; elles concernent plusieurs variétés de picard et de wallon ainsi qu’une en bruxellois. Le succès de ces publications fut aussi inattendu qu’encourageant; de ce fait, la plupart des versions ont dû faire l’objet d’une réédition.

Pour conclure

Au stade actuel, micRomania ne peut « vivre » que grâce aux aides de la Fédération Wallonie-Bruxelles; aides qui sont garanties par une convention qui a été renouvelée à quatre reprises. Les abonnés sont fidèles – parmi ceux-ci figurent bon nombre de bibliothèques universitaires – mais les abonnements ne permettent pas de couvrir les dépenses. Celles-ci comportent essentiellement des frais de saisie informatique et d’impression; pour ce qui concerne les autres postes, ils sont assurés par des interventions bénévoles. On ajoutera que les frais d’envoi sont de plus en plus élevés; mais, néanmoins, les promoteurs de micRomania continuent à être fidèles aux vertus de l’édition « papier » ce qui n’empêche pas la présence sur la « toile » du trimestriel et des éditions éponymes grâce à un partenariat engagé avec le site Revues.be et celui de Èl Môjo dès Walons.

Il n’est donc pas permis d’envisager le défraiement des collaborateurs; c’est ainsi qu’on a renoncé, par exemple, à publier un article sur l’argot parisien parce qu’on ne pouvait rémunérer son auteur.

Un bilan quantitatif reste ce qu’il est: révélateur et imparfait. On peut quand même signaler que le périodique a connu plus de 120 livraisons et qu’à l’heure actuelle, plus de 460 auteurs y ont collaboré par le truchement de près de 1300 textes qui représentent des témoignages de plus de 40 langues régionales romanes différentes: abruzzese, algherese, andalou, aragonais, aroumain, asturien, brigasc, champenois, corse, créole (Martinique, Guadeloupe, Haïti, Maurice, Sao Tome y Principe…), franco-provençal, galicien, gallo, gallo-italique de Sicile, haïkita, istro-roumain, istrioto, judéo-espagnol, jurassien, ladin, ligure, lombard, lorrain, morvandiau, napolitain, nissart, normand, occitan, papiamentu, picard, piémontais, poitevin-saintongeais, provençal, romagnol, romanche, sarde, sicilien, tabarchino, valencien, vénitien, wallon… Quant aux collections de monographie, elles comptent à l’heure actuelle 47 monographies qui concernent majoritairement des langues régionales romanes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Récemment, la Commission belge francophone et germanophone pour l’UNESCO a accordé son label au CROMBEL et la Fédération Wallonie-Bruxelles vient de lui attribuer le titre de Fédération professionnelle qui lui permet de siéger dans les organes consultatifs nouvellement créés par ladite Fédération.

L’avenir de la revue repose donc sur la bonne volonté de toutes les parties. À ce propos, on insistera sur le rôle essentiel des personnes-relais. Certes, la plupart d’entre elles sont fréquemment engagées dans d’autres activités – l’édition, l’enseignement… – et, de ce fait, elles sont déjà surchargées de travail – on dit en wallon: « C’èst toudis su l’ tchuvô qui satche li pus fwârt qu’on tchane li pus. » ‘C’est toujours sur le cheval qui tire le plus fort que l’on frappe le plus’ – mais, il n’empêche que sans elles, il ne serait pas possible de présenter un périodique et des monographies qui se veulent le reflet permanent de la production contemporaine en matière de littérature en langue régionale romane.

Jean-Luc Fauconnier